Le mythe de la gastronomie le plus propagé dans la presse ... et par des historiens !
Tous les amateurs de gastronomie, ou passionnés d'histoire napoléonienne, ont entendu parler de la prodigieuse histoire de l'invention du poulet à la Marengo, cette succulente recette qui allie poulet, sauce tomate, écrevisses et bien d'autres ingrédients. Ce serait Dunand, cuisinier du Premier consul Napoléon Bonaparte, qui aurait créé la recette sur le champ ensanglanté de la bataille remportée par le général, le soir du 14 juin 1800, à Alexandrie, dans le Piémont. Le mélange éclectique des ingrédients quelque peu étrange, fait de poulet et d'écrevisses, serait dû au fait que l'intendance ne suivait pas et que le cuisinier a dû improviser avec les quelques pauvres ingrédients que les hommes ont trouvé dans les fermes dévastées des alentours. Cette histoire est largement véhiculée dans les médias, sur la toile et dans des livres de vulgarisation ...
Cracambole sur le champ de bataille de Marengo est en train d’inventer le Poulet à la Marengo. Ilustration de René Giffey, dans Cordier, 1909, n.p.
Une fable!
Mais voilà, quand on y regarde de plus près - dans les sources ! - on s'aperçoit que Dunand n'est entré au service de Napoléon que deux ans après les faits[1] et n'était donc pas présent à la bataille de Marengo. On se rend également compte que le repas du soir a été pris au quartier général de Torre Garofoli, situé à une quinzaine de kilomètres de la bataille, et qu'il a été offert à Napoléon et à son état-major par le général François Étienne Kellermann . Le général avait d'ailleurs pris la précaution d'envoyer chercher des provisions au couvent del Bosco qui n'a pas été avare en provisions et en bon vin[2]. On comprend également que le mélange de poulet avec les écrevisses n'a rien d'extravagant à l'époque. On le retrouve déjà dans le Mesnagier de Paris au 14e siècle et dans la recette de Potage de poulardes aux écrevisses qui existe dans la cuisine classique française au moins depuis 1750[3].
L'histoire du poulet Marengo inventé le soir de la bataille par le cuisinier de Napoléon est bel et bien un mythe ! Ce mythe est né quarante ans après les faits, en 1840, sous la plume du bibliophile italophile Valéry Pasquin[4]. Ce dernier, intrigué par la recette du poulet Marengo qui existait déjà, raconte cette histoire d'invention sur le champ de bataille, sans qu'on ne sache d'où il a tiré l'information. L'histoire sera enrichie et popularisée sous le Second Empire, particulièrement friand en anecdotes glorieuses à propos des conquêtes de Napoléon 1er. Le mythe ne cessera de gonfler à la fin du 19e siècle et se perpétuera jusqu'à nos jours.
Mais alors, d'où vient le poulet Marengo?
Le poulet Marengo a bien un lien avec la bataille. Il s'agit très probablement d'un plat mis à la carte des restaurants parisiens - sa recette originale est très proche du friteau de poulet servi dans les restaurants parisiens de l'époque - pour célébrer la victoire. Il se pourrait qu'il soit né dans les cuisines du fameux Trois frères provençaux. Il s'agit au départ d'une simple recette de poulet frit à l'huile d'olive auquel on a ajouté dans les décennies qui suivent les tomates, les œufs frits, les écrevisses, le cognac, etc., ingrédients qui se sont ajoutés simultanément au récit mythique de l'invention de la recette.
Un mythe d'une facture classique
L'histoire du poulet Marengo telle qu'on nous la raconte est un mythe d'un genre assez classique. D'une part, il explique la création d'un plat par le hasard et commet toute une série d'anachronismes au fur et à mesure qu'on lui ajoute des éléments. D'autre part, il s'agit d'un mythe qui flatte le sentiment national, raison pour laquelle il a probablement été admis aussi longtemps sans que - presque - personne ne vérifie son authenticité, même pas le spécialiste Jean Tulard, auteur du Dictionnaire amoureux de Napoléon qui répercute le mythe une fois de plus.
Pour en savoir plus: Napoléon et le poulet à la Marengo.
[1] Pierre Branda, Napoléon et ses hommes, Paris, Fayard, 2011 p. 145.
[2] Mémoires de M. de Bourrienne, 1829, p. 103, 104.
[3] M. C. D., Dictionnaire des alimens, vins et liqueurs, Paris, Gissey, Bordelet, 1750., t. 3, 1750, p. 152.
[4] Antoine Claude Pasquin, dit Valéry, L’Italie confortable, manuel du touriste, Paris, J. Renouard, 1840, p. 292.
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